Le mali aujourd’hui, entre islamisme adapté et islamisme radical

Article : Le mali aujourd’hui, entre islamisme adapté et islamisme radical
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20 décembre 2012

Le mali aujourd’hui, entre islamisme adapté et islamisme radical

Si l’islam au Mali m’était conté

Tombouctou, ville légendaire qui, fut, voici quelque sept cents ans, l’une des métropoles culturelles de l’islam, devait accueillir au cours des années quatre vingt les événements célébrants pour les musulmans du monde entier le début du XVe siècle de l’Hégire (ère musulmane commençant en l’an 622 de l’ère chrétienne). Par cette volonté, la Houma islamique voulait non seulement rendre hommage à la cité des 333 Saints, mais aussi et surtout au Mali dont l’histoire a déterminé depuis le VIIIe siècle de l’ère chrétienne l’islamisation de l’Afrique.

Aussi, les grands noms de l’histoire malienne n’appartiennent t-ils pas à l’histoire de l’Afrique musulmane. Pour en saisir la teneur, nous allons suivre le fil de l’histoire malienne à travers quelques dates importantes.

Sankoré mosquée, 2011 par Leslie Lewis
Sankoré mosquée, 2011 par Leslie Lewis

En 1076, les Almoravides (Dynastie berbère maure originaire de l’Adrar qui nomadisait entre l’actuel Sénégal et le sud du Maroc), au non de l’islam, détruisirent l’Empire du Ghana (Entre 3000 environ et 1240, cet empire fut le premier grand empire de la période impériale ouest-africaine. Il s’étendait du moyen Sénégal à la région de l’actuel Tombouctou englobant une partie des actuels Sénégal, Mali et Mauritanie).

En 1335, l’empereur du Mali « Massa » Kankan Moussa s’est fait connaitre par un pèlerinage fastueux à la Mecque. Sur son parcours, il était accompagné de soixante mille porteurs dont cinq cents esclaves portant chacun un bâton d’or pesant deux kilos et demi. Il éblouit  Le Caire en offrant au sultan cinquante mille dinars ; et La Mecque en distribuant  vingt mille pièces d’or aux pauvres.

Plus près de nous au XIXe siècle, l’islam fut le principal acteur dans la création et dislocation  des derniers royaumes du mali contemporain. Les exemples les plus frappants sont le cas de l’Etat théocratique des peulhs du Macina et l’Empire musulman dont rêvait d’installer El Hadji Oumar en proclamant le Djihad contre les infidèles et les incroyants. Du reste, c’est lui qui est le père de la confrérie des « Tidjiani » d’Afrique de l’Ouest et, encore de nos jours, les fidèles viennent de partout pour le pèlerinage de Deguembere, près de Bandiagara, ou l’avenir l’émir de tous les croyants disparaît mystérieusement en 1864.

Le Mali a gardé les empreintes de cette longue et riche tradition musulmane. Rares sont les villes et villages qui n’aient une mosquée. Dans la savane sahélienne, il s’agit d’une modeste construction en banco juste décorée d’un œuf d’autruche perché en haut de son tour. D’autres édifices plus imposants, comme la mosquée de Djenné avec son majestueux édifice, chef d’œuvre de l’architecture soudanienne, chanté par tous les chroniqueurs  arabes du Moyen Age, avant d’éblouir les voyageurs du XVIIIe siècle. Partout au Mali ou quasiment, les marabouts continuent d’enseigner à leur talibé (Jeune disciple faisant à l’occasion office de serviteur) les préceptes et les versets du Coran.

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Mosquée Sankoré à Tombouctou

Mais que garde le Mali de cette longue et riche tradition musulmane ?

Il y aurait un véritable travail de Dieu selon Sennen Andriamirado (Le Mali Aujourd’hui 3ème édition,  Jaguar 1996). Un travail de Dieu pour la simple raison que curieusement au Mali  il n’existe pas de confréries religieuses rigoristes comme c’est le cas ailleurs. Mis à part une infirme minorité de wahhabite, les musulmans maliens (un peu plus de 80% de la population) sont forts loin d’être intégristes. Bien sur que l’on continue à apprendre par cœur le Coran, naturellement que l’on s’initie toujours à la philosophie et à la morale religieuse. C’est encore vrai que dès l’âge de sept ans, les talibé font toujours, par la mendicité, l’apprentissage de la vie voyageant de ville en ville à la découverte du monde. Mais le Mali est très éloignée du prosélytisme d’antan et d’aujourd’hui. Car l’islam malien est fortement teinté de l’animisme de toujours. Une bonne composante du  groupe mandingue, surtout les bamanan, continue de pratiquer leur religion ancestrale à laquelle ils ont, en quelque sorte, adapté l’islam. Ici, c’est donc le règne d’un islam adapté et modéré ou le Dieu est toujours Maa, qui est tout au plus devenu Maa N’Gallah chez les musulmans maliens. Il faut comprendre que le monothéisme des civilisations locales (surtout des groupes ethniques) présentes au Mali y a facilité l’acclimatation de l’islam. Créateur et maitre de l’univers, Dieu est unique pour tous les maliens : il s’appelle Irkè chez les Songhaïs (qui représentent 60% de la population du Nord), pour qui il est inaccessible autrement que par l’intermédiaire des esprits et des divinités secondaires ; il est Koulouikerè pour le senoufo ou Klè pour le Minianka, ici on pense qu’il se repose après avoir créé l’univers : « il a fini son travail et se repose » laissant agir les esprits et les génies ; chez les Dogons, il est Amma ou Ammo, et il gère le monde par la complémentarité et l’antagonisme permanent du fluide male et du fluide femelle qui émanent de lui. C’est donc autant de vision du Dieu Unique qu’à rencontré l’islam ici. Ainsi l’islam, présente au Mali depuis le 10è siècle, cohabite parfaitement avec les croyances locales. C’est donc un islam compatible avec les croyances locales qui y prévaut : celui qui associe au culte des esprits et génies Allah. Au dessus de l’être suprême et absolu (Dieu) règnent les divinités secondaires, les esprits et les génies qui protègent ou sanctionnent les hommes. Dans certaines régions, l’animisme est même total ; el la pratique oscille autour de l’être : tout être animal, végétal, minéral est doté d’une âme. Car l’univers est formé de deux mondes parallèles mais étroitement imbriqués dans le quotidien : le visible et l’invisible. Dans la plupart des régions maliennes des cérémonies rituelles se déroulent encore, elles correspondent, très couramment, à des époques précises qui coïncident soit avec le début d’une activité économique collective (labour, pèche), ou à l’occasion de certaines circonstances exceptionnelles (Sécheresse ou départ en voyage). Les esprits sont sollicités  pour obtenir leur protection ou pour éloigner les maléfices, consacrés régulièrement par les fétiches collectifs et les gris-gris individuels et familiaux.

La présence, plusieurs fois millénaire, de l’islam n’a donc pas réussi à tuer l’animisme au Mali. Bien au contraire, les croyances locales et l’islam ont trouvé un compromis pour cheminer ensemble. C’est ainsi que nous remarquons que même chez les touaregs, réputés plus pieux, on ne sépare jamais de son porte-fétiche. De la même manière, certains sites, censés être sacrés aux yeux de tout musulman, n’en font pas moins l’objet de rites animistes. C’est le cas par exemple de la Case sacrée et secrète de Kangaba qui recélerait des objets saint rapportés de La Mecque. Cependant, autour d’elle se rassemble, tous les sept ans, les griots du Mandé venus pour la nettoyer ; au jour dit, après les incantations magiques, le toit de la Case, affirme t- on, se soulève tout seul pour se déposer sur le sol et se laisser nettoyer suivant des rites qui n’ont rien de commun avec la liturgie coranique.

Réfection septennale du toit du Kamabulon, Case sacrée de Kangaba
Réfection septennale du toit du Kamabulon, Case sacrée de Kangaba

En somme, c’est ce mélange harmonieux entre l’islamisme et l’animisme qui a engendré un syncrétisme de fait qui a toujours caractérisé les maliens. Ainsi à Gao, les songhaï, largement islamisés depuis plus de mille ans, redécouvrent le « Holé » : il s’agit de divinités secondaires de la cosmogonie traditionnelle qui assurent la liaison quotidienne entre les hommes et Dieu. Plusieurs autres sociétés secrètes existent encore au Mali, particulièrement parmi les bamanan, mais aussi chez les senoufo-minianka et les Bwas etc.

C’est donc dans ce contexte de pratique religieuse modérée que nous découvrons l’islam radical avec la crise au Nord.

Mais qu’en est t-il de cet islam radical et la présence de ses adeptes au Nord Mali ?

Sachons-le d’emblée, cet islam radical n’a rien de commun avec l’islam pratiqué au Mali comme nous venons de l’évoquer précédemment. Mais pour comprendre faisons l’état des lieux en se raccordant avec le fil de l’histoire. Déjà, à la fin du XIXe siècle, El Hadj Oumar avait tenté d’installer le djihad dans les royaumes issus de célèbres empires qui se sont succédé sur le territoire de l’actuel Mali depuis le Xe siècle. Mais son projet était voué à l’échec devant la grosse détermination des populations de cette époque à conserver leur liberté de croyances.

Aujourd’hui, l’islam radical a envahit le Nord-Mali depuis que les militaires ont renversé le président Amadou Toumani Touré le 22 Mars 2012. Ainsi, entre Coup d’Etat, tentative de sécession et invasion islamisme, le mali est au cœur de l’actualité internationale. Mais avant d’aller loin dans nos propos, prenons le temps de comprendre l’islam radical. L’islam radical ou l’islamisme est un courant de pensée musulman, essentiellement politique, apparu au XXe siècle. Depuis sa réapparition dans la langue française, le mot a beaucoup évolué. Il peut s’agir, par exemple, du « choix conscient de la doctrine musulmane comme guide pour l’action politique » [ – dans une acception que ne récusent pas certains islamistes – , ou encore, selon d’autres, une « idéologie manipulant l’islam en vue d’un projet politique : transformer le système politique et social d’un État en faisant de la Charia, dont l’interprétation univoque est imposée à l’ensemble de la société, l’unique source du droit »[]. C’est ainsi un terme d’usage controversé.

Pour faire court, nous allons reprendre volontiers ce qu’en pense l’islamologue Bruno Etienne, il dit en substance ceux-ci : l’acception actuelle du mot, qu’il est également possible d’appeler « islamisme radical », peut se résumer comme l’« utilisation politique de thèmes musulmans mobilisés en réaction à l’ « occidentalisation» considérée comme agressive à l’égard de l’identité arabo-musulmane », cette réaction étant « perçue comme une protestation antimoderne » par ceux qui ne suivent pas cette idéologie. Et c’est à peu près ce que prônent les envahisseurs au  Mali, je m’explique :

Mis à part les conséquences du conflit libyen, les évènements du 22 Mars dernier ont précité la chute des trois régions du Nord Mali. Elles sont tombées entre les mains de trois groupes islamistes (AQMI, MUJAO et Ansar Eddine). Depuis, leur installation,  entre destruction du patrimoine mondial et institution de la Charia, ces mouvements font régner la terreur. Pour autant, on ne peut pas parler d’islamisation car cette invasion n’a absolument pas apporté l’islam au Mali comme nous l’avons évoqué plus haut au début de notre billet. En revanche, nous assistons là à une « salafisation » de la zone sous l’impulsion des trois groupes islamistes. En effet, il ya un certain écho à l’égard du « salafisme » et de l’influence politique de l’islam ; mais rien de plus qu’un écho. Par ailleurs, les groupes islamistes prônent l’installation d’un islam rigoureux. Et cela se voit ostensiblement au Nord Mali par le port obligatoire du voile et l’application stricte de la charia.

Mais les maliens du Nord ont-ils été séduits par cette forme rigoriste de l’islam ? Rien n’est moins sur ! Car, malgré la pauvreté, ou un certain écho que reçoivent les islamistes auprès de certains maliens, ils ne sont pas arrivé à avoir l’adhésion de la majorité des maliens. Pour la plupart d’entre eux, ils n’acceptent pas un grand nombre de règles imposées par les islamistes tandis que d’autres y voient le retour espéré à l’ordre.

En définitive et comme par le passé, il n’ya aucune confusion à faire, l’islam radical n’est pas la bienvenue au Mali. Les maliens restent d’excellents musulmans, mais des musulmans modérés. C’est pourquoi à travers ce billet, je somme la communauté internationale d’intervenir au plus vite pour ne pas laisser le temps aux salafistes d’Al Qu’Aïda au Maghreb Islamique (AQMI),  du Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Anser Eddine de se faire de la place au Nord-Mali pour en faire un sanctuaire du terrorisme.

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Commentaires

Diarra Ousmane
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Mon cher frère,
Je vous le dis en toute franchise, l'islam a toujours été violent tant qu'il domine. En position de faiblesse, il accepté mais dès qu'il se sent fort, il écrase.
Les peuples animistes résistent depuis la chute de l'empire du Ghana. Jusque entre les deux guerres mondiales, le Mali était à 80 pour cent animistes. Aujourd'hui, l'islam revendique 95 pour cent.
Pourquoi cette progression fulgurante dont la conséquence n'est autre que l'islamisme aujourd'hui ? Parce qu'à l'indépendance, l'Etat malien n'a pas officiellement reconnu les religions traditionnelles. C'est cela qui explique tous nos problèmes.
En toute fraternité.

michouthe
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Merci, mon frère Ousmane d'avoir prie le temps de lire ce billet. Je voudrai juste vous dire que l'islam dans son essence et dans son méssage est tolerant. Il ya aucun signe qui fait allusion à la violence. Donc ce sont les adeptes qui glissent parfois dans l'extremisme et dans la mauvaise interpretation de la doctrine. c'est d'ailleurs le cas de ceux qui occupent le Nord Mali aujourd'hui. Pour l'animisme, il faut comprendre qu'il s'agit d'une réligion malienne de fait qui n'avait pas besoin d'etre reconnu. Et puis si j'ai pris le temps de publier ce billet c'est sans doute pour le besoin de faire comprendre que les islamistes radicaux qui ont envahis le Nord Mali n'ont rien de commun avec les musulmans au Mali.
En tout cas merci pour la contribution; fraternellement votre.